Les langues minoritaires : un atout pour le développement régional
Commission de la culture et de l’éducation
Rapporteurs : Karl-Heinz LAMBERTZ, Belgique (R, SOC1) et
Farid MUKHAMETSHIN, Fédération de Russie (R, GILD)
A. Projet de résolution 2
B. Projet de recommandation 3
C. Exposé des motifs 4
Résumé
Les langues régionales et minoritaires de l’Europe constituent une ressource précieuse et sous-utilisée pour le développement des régions d’Europe.
Les minorités linguistiques jouent un rôle important dans les échanges économiques, en particulier pour les industries culturelles et sont souvent des acteurs clefs pour développer la coopération transfrontalière. En promouvant les langues minoritaires présentes sur leurs territoires, les régions retirent des avantages en termes de croissance économique.
En encourageant l’utilisation de ces langues dans l’enseignement et le secteur public et en utilisant davantage la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, les collectivités territoriales peuvent donner à leurs régions un avantage concurrentiel fort.
A. PROJET DE RESOLUTION2
1. Les minorités linguistiques sont un atout pour le développement économique et culturel d’une région. Elles représentent un potentiel énorme et souvent négligé. S’il est convenablement valorisé, ce potentiel peut stimuler les activités culturelles et économiques et contribuer fortement à la prospérité d’une région.
2. La plupart des locuteurs des langues régionales ou minoritaires sont multilingues. Toutes les études montrent que les locuteurs multilingues ont des performances supérieures à celles de leurs homologues monolingues. Cela tient à la fois aux compétences cognitives liées à l’apprentissage des langues et au fait que les connaissances linguistiques sont de plus en plus recherchées dans de nombreux secteurs.
3. Les régions frontalières d’Europe comptent de nombreuses minorités linguistiques. Celles-ci sont souvent la clé du développement de la coopération transfrontalière, qui est un aspect important de l’intégration européenne. Les régions qui ont favorisé l’utilisation des langues minoritaires sur leur territoire en ont tiré un bénéfice en termes de croissance, pour elles-mêmes ou pour les régions voisines.
4. Les régions d’Europe doivent prendre conscience de la valeur ajoutée que les langues régionales ou minoritaires représentent. Elles peuvent contribuer de manière significative au tourisme culturel et aux activités liées au patrimoine.
5. La langue est un aspect essentiel de l’identité culturelle. Elle est au centre de la mémoire collective de la population et c’est par elle que se transmettent des identités culturelles complexes. Les minorités linguistiques dont la langue est pleinement reconnue et qui peuvent l’utiliser dans la sphère publique comme dans l’espace privé acquièrent une confiance en elles-mêmes qui se répercute sur leur activité économique et leur créativité culturelle.
6. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires sont des instruments extrêmement utiles pour protéger et soutenir les populations minoritaires d’Europe et ils mériteraient d’être mieux connus et appliqués de manière systématique.
7. La vigueur des langues d’une région est un indicateur essentiel de son développement culturel et de sa vitalité. Le fait de donner aux langues de tous les groupes minoritaires un statut, une reconnaissance et un soutien appropriés est le signe d’une démocratie parvenue à maturité.
8. Compte tenu de ce qui précède, le Congrès invite les pouvoirs locaux et régionaux à :
a. veiller à ce que les régions aient des politiques linguistiques assurant une protection et une promotion adéquates des langues autochtones qui y sont présentes ;
b. encourager une plus grande utilisation des langues régionales ou minoritaires dans l’éducation, l’administration, les médias et l’économie ;
c. encourager la maîtrise des langues régionales ou minoritaires dans la fonction publique ;
d. fournir un financement adéquat pour garantir l’offre d’un enseignement des langues régionales ou minoritaires à partir de l’école primaire ;
e. soutenir la création d’écoles bilingues combinant l’enseignement dans une langue nationale et l’enseignement dans une langue régionale ou minoritaire ;
f. promouvoir les langues régionales ou minoritaires au moyen d’un vaste éventail d’activités culturelles, telles que les spectacles dramatiques, les expositions, les manifestations littéraires et les concours de chanson ;
g. encourager et promouvoir les accords transfrontaliers relatifs à l’enseignement des langues et aux échanges éducatifs, en vue de développer la coopération économique transfrontalière.
B. PROJET DE RECOMMANDATION3
1. Les langues régionales ou minoritaires ne sont pas un luxe inutile : elles font partie intégrante de la richesse du patrimoine culturel européen et peuvent contribuer de manière déterminante à l’intégration et à la prospérité économique de la Grande Europe.
2. Pour que le potentiel économique de ces langues se réalise, les gouvernements doivent veiller à ce qu’elles soient suffisamment soutenues et à ce que leur utilisation soit encouragée dans tous les secteurs de la société. Les représentants des langues régionales ou minoritaires doivent être pleinement associés au développement économique de leurs régions à tous les niveaux, dans l’intérêt de tous.
3. Le Conseil de l’Europe dispose d’excellents instruments juridiques pour protéger et promouvoir les populations minoritaires d’Europe. Ces instruments méritent d’être mieux connus et appliqués de manière plus systématique.
4. Le Congrès,
a. conscient que la valeur économique et culturelle des langues régionales ou minoritaires d’Europe reste largement méconnue et que les gouvernements des Etats membres accordent encore trop peu d’attention aux langues régionales ou minoritaires ;
b. ayant à l’esprit les travaux du Comité d’experts de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ;
c. ayant à l’esprit la Recommandation CM/Rec(2008)7 du Comité des Ministres sur l’utilisation du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) du Conseil de l’Europe et la promotion du plurilinguisme ;
d. ayant à l’esprit les indications montrant que la promotion des langues régionales ou minoritaires peut stimuler fortement l’économie d’une région ;
e. ayant à l’esprit la Recommandation 1383 (1998) de l’Assemblée parlementaire relative à la diversification linguistique ;
f. ayant à l’esprit la Recommandation 1740 (2006) de l’Assemblée parlementaire relative à la place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire ;
5. Invite par conséquent le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à :
a. reconnaître que les minorités linguistiques sont un atout économique et culturel important ;
b. reconnaître l’intérêt économique de la promotion des langues régionales ou minoritaires et en tenir compte dans leurs politiques économiques ;
c. reconnaître le rôle des minorités linguistiques dans la coopération transfrontalière et les associer pleinement aux projets transfrontaliers et à leur planification ;
d. reconnaître que les langues des communautés immigrées sont un atout important pour établir des liens culturels et économiques avec les pays d’origine.
6. Le Congrès invite le Comité des Ministres à demander aux Etats membres de :
a. prendre des mesures pour éviter le déclin des langues régionales ou minoritaires et veiller à ce que tous les enfants aient dès leur plus jeune âge la possibilité d’apprendre ces langues à l’école ;
b. encourager et soutenir l’offre d’un enseignement des langues régionales ou minoritaires dans le cadre de l’éducation des adultes et de la formation permanente ;
c. encourager et promouvoir l’utilisation des langues régionales ou minoritaires dans le domaine de la culture et le tourisme culturel ;
d. promouvoir l’éducation en langue maternelle pour tous les groupes minoritaires, y compris les migrants ;
e. créer des conseils de promotion des langues afin d’encourager la diversification linguistique et le développement de l’utilisation des langues régionales ou minoritaires dans les régions ;
f. signer et ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
C. EXPOSÉ DES MOTIFS
Introduction4
1. Près de 60 langues européennes sur un total de 90 sont des langues régionales ou minoritaires (ci-après dénommées « langues minoritaires ») parlées par plus de 100 millions de locuteurs. Cela signifie qu’environ un Européen sur sept est un locuteur natif d’une langue minoritaire5.
2. Les locuteurs d’une langue minoritaire parlent aussi en général la langue nationale de leur pays. Ils se trouvent donc dans une situation privilégiée par rapport à ceux dont la langue maternelle est la langue nationale, vu que la moitié de ces derniers ne parlent aucune autre langue6.
3. Les langues minoritaires sont une composante essentielle de la diversité culturelle de l’Europe, et leur préservation est indispensable au maintien de cette diversité. Elle est en effet un facteur clé du développement régional, en fonction du statut politique et juridique qui est accordé aux langues minoritaires dans leurs régions d’origine. Elle peut également jouer un rôle extrêmement important dans le développement socioculturel, économique et écologique de ces régions7.
4. Le principe juridique international de la discrimination positive s’applique à la préservation des langues minoritaires8. Cela signifie que des mesures adéquates devraient être prises en vue de promouvoir, dans tous les domaines de la vie économique, sociale, politique et culturelle, une égalité pleine et effective entre les locuteurs d’une langue minoritaire et ceux de la langue dominante. Les mesures adoptées conformément à ce principe ne devraient pas être considérées comme un acte de discrimination.
Interdépendance des langues minoritaires et du développement régional
5. Il existe une corrélation majeure entre le développement régional et les langues minoritaires : celles-ci dépendent en effet du développement de la région, tout en représentant un atout culturel et un outil stratégique dans ce processus. Cette interdépendance peut être exposée de la manière suivante :
Que peut offrir une région à une langue minoritaire ?
6. Une existence économique : une langue minoritaire sans locuteurs est une langue morte, car les langues ne sont vivantes que si elles sont parlées. La préservation des langues minoritaires est par conséquent uniquement possible dans les régions économiquement développées, où la population ne risque pas d’être contrainte d’émigrer. L’édition 2009 de l’Atlas des langues en danger dans le monde (UNESCO) donne un aperçu général des langues qui sont menacées de disparition.
7. Une utilisation dans l’éducation et l’administration : comme toutes les langues, les langues minoritaires ont besoin de s’enrichir pour ne pas mourir, et le statut de langue officielle est indispensable à leur survie. Si elles ne peuvent pas en bénéficier au niveau national en raison du nombre limité de leurs locuteurs, elles peuvent néanmoins l’obtenir au niveau local ou régional9. Pour ce faire, les langues minoritaires doivent être enseignées et étudiées. La région garantit à la fois l’octroi du statut de langue officielle à la langue minoritaire, et son enseignement.
Que peut offrir une langue minoritaire à une région ?
8. Avantages régionales : la présence d’une langue minoritaire fait de la région un espace plurilingue plus attractif pour le tourisme, surtout le tourisme culturel, et lui procure des avantages stratégiques, linguistiques et culturels pour exploiter au mieux les possibilités offertes par la coopération transfrontalière.
9. Stimulation de l’économie : l’enseignement des langues minoritaires passe par l’école, et les établissements scolaires sont à la fois des dispositifs éducatifs et économiques. Les activités dans les langues minoritaires dans d’autres domaines culturels (littérature, théâtre, musées, musique, etc.) possèdent également une facette économique.
10. Valeur ajoutée : le multilinguisme au niveau régional implique un investissement accru dans l’éducation, l’administration et le système judiciaire. Cet investissement produit de la valeur ajoutée économique et culturelle, qui se traduit par un enrichissement à la fois individuel et social.
11. Stimulation de l’emploi : les activités culturelles ont un effet stimulant sur l’emploi parce qu’elles exigent un niveau élevé de créativité et qu’elles demandent donc le plus souvent beaucoup de main-d’œuvre.
12. Si l’on part du principe que les normes requises pour la sauvegarde des langues minoritaires dans une région donnée correspondent aux normes européennes10 transposées dans la législation interne, les éléments suivants pourraient être examinés dans la perspective du développement régional.
Conditions de la préservation des langues minoritaires
13. La sauvegarde d’une langue minoritaire passe avant tout par le maintien du groupe de locuteurs potentiels. Elle dépend également largement de son emploi dans l’éducation, l’administration, les médias et d’autres domaines tels que les entreprises, les loisirs, etc.
Maintien du groupe de locuteurs
14. Pour garantir l’emploi des langues minoritaires dans l’éducation, l’administration, les médias et l’économie, il faut offrir à leurs locuteurs des perspectives économiques suffisantes dans leurs zones d’établissement habituelles, pour qu’ils puissent exercer leur droit de parler leur langue dans ces domaines clés, et ne pas être contraints d’émigrer par manque de possibilités. Il importe donc de mettre en œuvre une politique régionale qui mette à disposition des offres d’emploi adaptées et qui garantisse la prospérité économique, la sécurité sociale et un environnement sain. Un niveau minimum de démocratie régionale est donc nécessaire si l’on veut établir valablement ces priorités régionales. L’Assemblée galloise a encouragé et est parvenue à renforcer l’utilisation du gallois dans tous les domaines de la vie publique, mais cela n’aurait pas été possible sans la décentralisation qui a eu lieu au Royaume-Uni dans les années 1990.
Enrichissement de la langue via son utilisation
15. La préservation et l’enrichissement des langues est un enjeu social majeur. L’utilisation de langues minoritaires dans l’administration, du moins dans les relations avec les autorités locales de la zone linguistique concernée, est d’une importance capitale pour leur sauvegarde. Les langues minoritaires, et en particulier les moins répandues, risquent en effet d’être étouffées par la langue nationale dominante. Dès lors qu’une langue minoritaire n’est plus parlée que dans la sphère privée, elle arrête de se développer et est vouée à disparaître. Or, une langue ne peut survivre qu’à la condition d’être constamment stimulée. Le statut de langue officielle peut, précisément, y contribuer, en obligeant l’administration à s’adapter à cette évolution sociale de la langue et à donner une expression linguistique aux sujets dont elle s’occupe. C’est pourquoi il est vital que les langues minoritaires, notamment les moins répandues, bénéficient du statut de langue officielle, au moins à l’échelle locale.
Les langues minoritaires : un vecteur de l’identité culturelle
16. La présence d’une langue minoritaire dans une région est un atout précieux qui peut être exploité sur le plan économique. Les ressources nécessaires pour préserver et utiliser les langues minoritaires ont un coût, mais elles n’en sont pas moins un investissement rentable dans le développement de la région, en raison de leur impact en termes d’enrichissement culturel, de promotion de l’économie, de stimulation de l’emploi et de protection de l’environnement.
17. Au Royaume-Uni, la promotion du gallois par le Conseil linguistique gallois a joué un rôle prépondérant dans la revitalisation de l’identité culturelle galloise. |
Enrichissement culturel
18. Le plurilinguisme est une source d’enrichissement personnel. L’apprentissage d’une nouvelle langue ouvre en effet à ceux qui la parlent les portes d’une nouvelle culture, élargit leur horizon personnel, accroît leur tolérance et leur capacité de discernement, et multiplie leurs perspectives d’emploi et de revenu supplémentaire. Les facultés cognitives, qui sont liées à un changement de perspective, l’empathie et la créativité sont plus marquées chez les personnes multilingues11.
19. Le potentiel de créativité des groupes et des individus multilingues a une grande influence sur la diversité culturelle et religieuse. Les sociétés devenant de plus en plus diverses et de moins en moins homogènes, les compétences plurilingues sont particulièrement utiles pour s’adapter à leurs exigences linguistiques et culturelles complexes.
20. Le multilinguisme est également un atout pour les locuteurs dominants, qui peuvent en bénéficier par l’apprentissage non seulement des langues officielles des régions voisines, mais aussi de leurs langues minoritaires, pour être en mesure de prendre part aux cultures qui les entourent. C’est l’une des raisons pour laquelle le Conseil européen de Barcelone en 2002 a recommandé l’enseignement d’au moins deux langues étrangères dès le plus jeune âge dans l’ensemble de l’Union européenne12. Des travaux de recherche ont montré que les locuteurs bilingues obtenaient de meilleurs résultats sur le marché du travail à la fois en termes d’employabilité et de rémunération13.
Promotion de l’économie
21. Tourisme : les zones multilingues possèdent une force d’attraction touristique supplémentaire, parce qu’elles ont la capacité de mobiliser plus facilement le potentiel touristique des diverses régions culturelles auxquelles leurs langues leur donnent accès. La présence d’une langue minoritaire s’accompagne souvent de diverses ressources culturelles, à savoir du patrimoine bâti, des ruines historiques, des coutumes et des traditions locales, des villages et des ensembles architecturaux. Ces éléments peuvent être valorisés avec succès au profit du tourisme culturel qui, en donnant la priorité à l’éducation et aux loisirs, offre des possibilités intéressantes de développement et constitue une alternative bienvenue au tourisme de masse.
22. Coopération transfrontalière : les régions multilingues ont souvent des frontières en commun avec d’autres zones culturelles et linguistiques, et possèdent donc naturellement des avantages géographiques utiles aux multiples possibilités de développement offertes par la coopération transfrontalière.
23. Le département du Haut-Rhin en Alsace fait activement campagne en faveur du bilinguisme afin de stimuler l’emploi dans la région. La ville de Mulhouse en France se situe tout près de la ville suisse germanophone de Bâle, dont le PIB est le plus élevé au monde. L’emploi transfrontalier joue un rôle majeur dans l’économie alsacienne14. D’après le Forum sur le « bilinguisme, un atout pour l’économie et l’emploi », qui s’est tenu à Mulhouse en mai 2009, la région a perdu 2 000 emplois transfrontaliers sur la période 2007-2008, en raison de la baisse du nombre de locuteurs bilingues français-allemand15.
24. Importance économique des activités culturelles : la présence du multilinguisme dans une région encourage les activités culturelles dans les langues concernées dans divers domaines tels que l’éducation, la musique, la littérature, les arts, les musées, le théâtre, le cinéma, l’esthétique industrielle, la radio et la presse écrite. L’ensemble de ces activités jouent un rôle économique en créant des emplois, en générant des salaires, en produisant des biens et des services et donc en stimulant l’économie en général16.
25. Des écoles « entreprises » : les écoles ne sont pas que le lieu privilégié de l’apprentissage et de la formation. Ce sont aussi de véritables entreprises qui emploient beaucoup de personnel. Travaux d’extension et de transformation, construction de nouveaux établissements et achat d’équipements et de matériels scolaires sont autant d’activités commerciales pour bon nombre de secteurs économiques. L’enseignement d’une langue minoritaire suppose toute une série d’activités et d’investissements supplémentaires, liés notamment au recrutement des enseignants et du personnel administratif, à la formation initiale et continue des enseignants, à la production de supports pédagogiques, à la mise à disposition de manuels, de salles de classe et de bibliothèques et au transport scolaire. Les emplois supplémentaires accroissent le pouvoir d’achat au niveau local, ce qui renforce le cycle économique local et dynamise la demande locale et suprarégionale.
Stimulation de l’emploi
26. La machine ne peut pas remplacer l’homme en termes de créativité : les activités et les investissements dans le domaine culturel, qui couvrent l’éducation, l’école, la conservation du patrimoine culturel et le tourisme culturel, se caractérisent par un niveau élevé de créativité. Quand le côté créatif d’une activité l’emporte sur son caractère répétitif, on peut la qualifier de « résistante à la mécanisation ». Les activités culturelles ont donc l’avantage de ne pouvoir être réalisées que par l’homme, compte tenu de leur dimension créative. En règle générale donc, plus une activité est créative, plus elle va résister à l’automatisation, et moins le travail de l’homme risque d’être rationalisé. Pour favoriser l’emploi, il faudrait par conséquent donner la priorité aux projets reposant sur la créativité et le travail de l’homme, par rapport à ceux qui se caractérisent par une forte intensité de capital et un faible niveau de qualification de la main-d’œuvre.
27. Le multilinguisme crée de la valeur ajoutée et des emplois supplémentaires : une politique officielle de multilinguisme dans une région entraîne des dépenses additionnelles qui sont liées, entre autres, aux moyens administratifs supplémentaires qu’il faut mettre en place pour chaque langue. Les documents doivent en effet être élaborés dans plusieurs langues, et les membres du personnel suffisamment nombreux pour offrir des services et des installations multilingues.
28. Les dépenses additionnelles liées au multilinguisme pourraient être couvertes par des embauches supplémentaires ou un rendement accru des employés, bien que ce dernier point exige des compétences spéciales. Ceux que l’on appelle les « emplois intelligents » créés par le multilinguisme stimulent également l’amélioration du niveau des qualifications et des salaires. En effet, un nombre accru d’emplois mieux qualifiés conduit à une augmentation de la demande, et l’amélioration du rendement individuel entraîne une hausse des revenus17, qui contribue à son tour à l’accroissement de la demande. Ces différentes situations ont un effet stimulant, notamment sur le marché local.
Démocratie régionale
Un niveau minimal de démocratie régionale est essentiel
29. Toute politique régionale qui vise à offrir des emplois en nombre suffisant, à garantir la prospérité économique et la sécurité sociale, et dans le même temps à utiliser de manière optimale les atouts du multilinguisme régional, doit se fonder sur un niveau minimal de démocratie régionale.
30. Conformément au principe de subsidiarité, la démocratie régionale implique de confier aux régions les tâches administratives qui peuvent être convenablement effectuées à ce niveau intermédiaire, entre la collectivité locale et le pouvoir central. Il serait utile d’instaurer un cadre commun pour les actions et les initiatives régionales, et d’harmoniser les capacités de la démocratie régionale.
31. Les langues minoritaires jouent un rôle déterminant dans le modelage de l’identité régionale. Elles confèrent à la région une spécificité culturelle, qui n’est pas sans importance à l’ère de la mondialisation. La promotion des langues minoritaires donne à la population locale une image plus positive d’elle-même, ce qui permet de consolider la démocratie et d’élaborer des politiques générales dans ce sens. Les citoyens qui ont conscience de la spécificité culturelle de leur région développent envers elle un sens accru des responsabilités, qui est également stimulant en termes d’activités économiques et de création d’entreprises.
Les meilleures pratiques des régions multilingues
32. Dans le cadre d’une bonne gouvernance, la valorisation des atouts culturels d’une population multilingue peut donner lieu au développement économique durable de la région concernée18.
33. La démocratie régionale est particulièrement utile dans les régions multilingues, car elle permet aux responsables politiques de créer les conditions favorisant la promotion du multilinguisme, en tant que composante essentielle de l’identité régionale. Ce n’est pas une coïncidence si les régions multilingues européennes dotées de pouvoirs législatifs se sont bien développées, notamment sur le plan socioéconomique.
34. Comme le montrent les exemples de la Catalogne, du Haut-Adige/Tyrol du Sud et d’Åland, qui enregistrent des taux d’emploi19 et des revenus par habitant20 largement supérieurs aux moyennes nationales, les autorités régionales et municipales disposent d’une marge de manœuvre considérable pour promouvoir le développement régional. L’aménagement du territoire et la stimulation de l’économie sont les principaux secteurs dans lesquels le développement régional peut être véritablement dynamisé, s’il s’accompagne de mesures de soutien dans les domaines de l’éducation, de la sécurité sociale et de l’environnement. Le rôle de la démocratie régionale est de garantir la flexibilité nécessaire à l’action politique dans ces secteurs.
Conclusion
35. La protection et la préservation des langues minoritaires favorisent le développement durable de la culture et de l’économie en garantissant la valorisation de l’emploi, de l’éducation et de la qualité de vie, et en prévenant ainsi l’émigration économique des populations locales. Les langues minoritaires jouent un rôle fondamental dans la formation et la consolidation d’une identité culturelle régionale. Il est donc primordial de veiller à ce que les mesures visant à les promouvoir soient correctement ciblées.
36. Les langues minoritaires jouent également un rôle positif et durable dans le développement régional ; leur préservation repose en effet sur une stratégie de valorisation sur le long terme qui requiert une bonne gestion des ressources tout en tenant compte de la nécessité de sauvegarder la culture pour les générations futures.
37. Les mesures visant à préserver et à promouvoir les identités culturelles des régions multilingues encouragent l’investissement de moyens financiers rentables, qui utilisent les ressources de manière optimale, constituent un enrichissement social et culturel pour les régions, et enfin s’autofinancent de par leur impact économique.
1 L : Chambre des pouvoirs locaux / R : Chambre des régions
GILD : Groupe Indépendant et Libéral Démocratique du Congrès
PPE/DC : Groupe Parti Populaire Européen – Démocrates Chrétiens du Congrès
SOC : Groupe Socialiste du Congrès
NI : Membre n’appartenant à aucun groupe politique du Congrès
2 Avant-projet de résolution et avant-projet de recommandation approuvés par la Commission de la culture et de l’éducation de la Chambre des régions le 15 octobre 2009.
Membres de la Commission :
KH. Lambertz (Président), V. Moreira (Vice-Présidente), R. Aliyev, L. Andrysiak, M. Aygün, I. Babicova, E. Campbell-Clark, E. Costello, M. Da Luz Rosihna, G. Dalleres Codina, D. Davidovic, J. Demeter, B. Kristo, B. Machaczek-Stuth (remplaçant : G.Krug), P. Manzini, G. Marmo, M. Miallot Muller, F. Mukhametshin, V. Nersysian*, O. Olavsen, V. Oluiko, B. Petrisch, C. Raimbert*, G. Reljic*, G. Rink, V. Simelis, I. Tzaki, P. Zambakhidze.
N.B. : Les noms des membres qui ont pris part au vote sont imprimés en italique.
Secrétariat de la Commission : A. Bartling et T. Lisney
3 Voir note de bas de page 2
4 L’auteur principal du rapport était Prof. Dr. Christoph Pan, ’’Südtiroler Volksgruppen-Institut’’, Bozen-Bolzano, Italie.
5 Pan / Pfeil : National Minorities in Europe (Les minorités nationales en Europe). 2003, p. 10, 34 ff.
6 Parlement européen, Direction Générale des politiques internes de l’Union : « Le multilinguisme : entre objectifs politiques et mise en œuvre ». Étude de la Direction B des Politiques structurelles et de la Cohésion, p.5.
7 Les normes qui prévalent dans le domaine des droits linguistiques des minorités et du statut des langues minoritaires sont la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le suivi de leur application dans la législation nationale des Etats parties est assuré par le Conseil de l’Europe.
8 Comme indiqué dans l’article 4, paragraphe 2 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales.
9 Dans la province autonome de Bolzano dans le Tyrol du Sud par exemple, dans l’une des provinces d’Italie dont le nombre est supérieur à cent, on compte trois langues officielles à différents degrés : l’italien, qui est la langue nationale de l’Italie, l’allemand, qui est une langue officielle régionale avec environ 300 000 locuteurs natifs, et le ladin, qui est une langue officielle locale parlées dans seulement huit municipalités par 20 000 locuteurs natifs environ.
10 Comme énoncé dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales.
11 Herdina / Jeßner : A Dynamic Model of Multilingualism : Perspectives of Change in Psycholinguistics. 2002.
12 Conseil européen de Barcelone, 15 et 16 mars 2002, Conclusions de la présidence, Part I, pt. 44 (SN 100/1/02 REV 1)
13 Blackaby, David et al. : The Welsh language and labour market inactivity, 2006
14 OLCA, l’Office pour la langue et la culture d’Alsace, signale que 25 millions de germanophones vivent dans un rayon de 250 km autour de Strasbourg, la capitale alsacienne, contre 6 millions de francophones.
15 Dernières Nouvelles d’Alsace, 16 mai 2009
16 Une étude réalisée à la demande du ministère fédéral allemand de l’Economie et de la Technologie montre le poids économique considérable du secteur culturel et créatif. En 2008, ce secteur a produit une valeur ajoutée brute de 2,5 % (63 milliards d’euros) et un volume de transactions équivalent à 132 milliards d’euros, ce qui correspond à 2,6 % du produit intérieur brut et qui fait du développement culturel le troisième plus grand secteur après la construction de machines et l’industrie automobile.
17 Dans le Tyrol du Sud en Italie, par exemple, où trois langues officielles sont reconnues, les employés de l’administration publique sont répompensés s’ils connaissent et utilisent une deuxième ou une troisième langue officielle ; les fonctionnaires bilingues et trilingues touchent en effet un bonus pouvant atteindre 10 % du salaire net.
18 Cf. la Résolution 283 (2009) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux : La bonne gouvernance : un facteur clé du développement économique durable des régions.
19 En 2007, le taux de chômage en Catalogne était de 6,5 %, soit environ 25 % de moins que le taux national espagnol
(8,3 %) ; dans le Tyrol du Sud, il était de 2,5 %, soit moins de la moitié du taux national italien (6,1 %), et il s’élevait à Åland à 2,2 %, soit presque trois fois moins que le taux national finlandais (6,9 %). Par comparaison, le taux de chômage de l’Union européenne des 27 était de 7,1 % (Eurostat, statistiques régionales).
20 En 2006, le produit intérieur brut (PIB) régional par habitant en Catalogne, avec 26 300 EUR, était supérieur de 18 % au PIB
national moyen de l’Espagne (22 300 EUR) ; dans le Tyrol du Sud, avec 32 900 EUR, il était supérieur de 31 % à la moyenne nationale de l’Italie (25 100 EUR), et à Åland, avec 40 500 EUR, il était supérieur de 28 % à la moyenne nationale de la Finlande (31 700 EUR). Par comparaison, le PIB de l’Union européenne des 27 s’élevait à 23 600 EUR (Eurostat, statistiques régionales).