L’association des maires de France (AMF) négocie un virage de fermeté sur le terrain de la laïcité. Le président de l’association, François Baroin (Les Républicains), a présenté mercredi 24 juin les propositions adoptées par le bureau, sur la base d’une réflexion menée par un groupe de travail.
En novembre dernier, l’AMF avait confié aux maires de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret (LR) et de Vénarey-les-Laumes, Patrick Molinoz (PRG), la mission d’établir un document de référence qui pourrait servir à tous les élus.
Celui-ci sera présenté en septembre, mais les attentats de janvier et les tensions qui ont suivi ont convaincu les élus de faire une première liste de propositions.
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MENUS SCOLAIRES
S’agissant du sujet très polémique des menus scolaires, les maires de France sont parvenus à s’entendre sur une formulation dans laquelle chaque mot est pesé.
D’abord, les élus rappellent que ce service de restauration n’est pas une obligation, mais relève du libre choix des municipalités. « Les familles doivent s’adapter aux règles de l’école républicaine laïque et non l’inverse », affirme l’AMF.
Elle juge non seulement les menus confessionnels « pas acceptables »,mais estime aussi « contraire aux règles laïques de déterminer les menus en fonction de motifs religieux ».
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DÉMARCHE DIÉTÉTIQUE
Cet accord est un démenti pour les communes qui consultent les familles musulmanes ou juives et leur servent des plats de substitution au porc. Le« choix offert aux enfants » par certaines cantines n’est pas contraire à la laïcité s’il est justifié par une démarche diététique, précise toutefois l’AMF.
Alors que la décision de Gilles Platret – soutenu par Nicolas Sarkozy – de supprimer les plats alternatifs au porc dans sa ville avait entraîné de vives contestations, y compris à droite, François Baroin assure être parvenu à une position consensuelle sur cette question.
Réaffirmation laïque aussi dans cette proposition d’engager la réflexion avec l’éducation nationale sur « le port de tenues homogènes marquant l’appartenance à l’établissement scolaire ». Autrement dit, l’uniforme.
CRÈCHES DE NOËL
L’AMF recommande aussi aux maires, pour éviter les manifestations religieuses lors des mariages civils, de faire signer aux futurs époux « une charte d’engagement » les invitant à respecter le lieu et la cérémonie.
Sur les affaires de crèches de Noël installées dans des bâtiments publics, qui avaient fait polémique cet hiver, elle estime souhaitable « une clarification législative ».
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Elle invite enfin l’ensemble des 36 000 maires à « s’abstenir de faire montre de leurs propres convictions religieuses ou philosophiques » dans leur action publique. Leur participation « en tant qu’élus » à des cérémonies religieuses « devra se faire (…) sans manifestation de sa propre croyance ou incroyance ».
UNE CHARTE DE LA LAÏCITÉ
Une place importante de la réflexion est accordée aux relations avec les associations. Les élus, qui redoutent une montée des replis communautaires, veulent mettre un terme aux dérives dans les subventions accordées par des municipalités à des organismes qui, sous couvert d’activité éducative, culturelle ou sportive, pratiquent le prosélytisme.
Ils se prononcent pour l’interdiction de pouvoir « réserver, pour un motif religieux, des créneaux spécifiques pour l’utilisation des équipements sportifs. » L’AMF va rédiger un modèle de charte de la laïcité qui pourrait servir de référence à tous les élus. Ces derniers pourraient à leur tour élaborer des chartes locales qui engageraient toute association qui sollicite une subvention.
DES PRÉCAUTIONS
L’AMF engage toutefois ce virage laïque avec mille précautions. D’une part, même si c’est bien l’islam qui est au cœur des difficultés, les maires prennent garde de n’employer que des mots neutres à l’égard des cultes.
D’autre part, parce que l’AMF est une instance qui fédère l’ensemble des communes aux contextes social et culturel des plus variés, elle doit tenir compte de tous ces équilibres. « Nous ne sommes pas une instance décisionnelle, nous avançons sur la voix du consensus », reconnaît François Baroin.
AUTRES SUJETS SENSIBLES
De fait, sur certains points délicats, leurs propositions semblent tourner en rond. Par exemple, sur l’accompagnement des sorties scolaires par des mamans voilées, il n’y a pas de « position de principe », admet Patrick Molinoz.
L’AMF demande à l’éducation nationale que des « dispositions claires et cohérentes soient données », ce qu’était déjà censé avoir fait la circulaire Chatel en 2011.
« Le travail est loin d’être terminé sur beaucoup de sujets », reconnaît Gilles Platret. Il s’agira notamment à la rentrée de s’attaquer à cette charte de la laïcité qui doit servir de texte de référence pour toutes les communes. Une rédaction où, là aussi, chaque mot devra être pesé.
« Ne pas focaliser le débat sur la seule question du porc »
Gilles Perole, adjoint au maire de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), chargé de l’éducation :
« Il y a quelques années, nous avions dans nos écoles des listes nominatives des élèves qui ne mangent pas de porc, mais cette pratique ne nous est pas apparue satisfaisante. Nous avons depuis décidé de concentrer nos efforts sur la qualité, en proposant des menus biologiques et en limitant les plats de viande. Quand il y en a, ceux qui ne souhaitent pas en manger se voient servir plus de légumes ou de céréales. Ce sujet de la qualité des menus scolaires nous semble suffisamment complexe et important pour ne pas focaliser le débat sur la seule question du porc, surtout dans cette période de tensions. Les communes ont différentes pratiques et, pour ne pas attiser les polémiques, il me semble sage qu’elles n’en changent pas à chaud, car tout effet d’annonce risque d’être mal reçu. »
Journal La Croix – BERNARD GORCE