Rythmes scolaires : le casse-tête des maires ruraux

Ne parlez pas de la réforme des rythmes scolaires à Alain Fouglé, maire de Feins, village de 920 habitants situé à 30 km au nord de Rennes. L’élu a pris sa calculette pour estimer son coût, et il est arrivé à 20 000 euros, soit 3,3 % du budget communal. “C’est énorme”, souffle-t-il. Son évaluation prend en compte deux dépenses. Primo, l’ouverture de la cantine le mercredi – après la nouvelle matinée de classe – afin que certains enfants puissent aller ensuite au centre de loisirs. Secundo, l’embauche d’intervenants pour les activités périscolaires de la semaine, de 15 h 45 à 16 h 30, en lieu et place des 45 minutes quotidiennes de classe supprimées par la loi.

Cela, bien sûr, à condition de trouver des encadrants disponibles – et, qui mieux est, titulaires du BAFA, le brevet d’aptitude à l’animation. “Tout le problème est bien là, soupire M. Fouglé. Ici, on est loin de Rennes et de ses 60 000 étudiants. Les grandes villes n’auront aucun mal à recruter. Mais nous ? Il faudrait qu’un étudiant prenne le train, qu’on aille le chercher, puis le ramener après son intervention de trois quarts d’heure… Tout ça pour gagner 20 euros ? Il préférera aller bosser chez McDo !”

(L’article complet LE MONDE | 22.02.2013 http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/02/22/rythmes-scolaires-le-casse-tete-des-maires-ruraux_1837079_3224.html)
LE MONDE | 22.02.2013 à 11h25 • Mis à jour le 23.02.2013 à 19h44 Par Frédéric Potet – Ille-et-Vilaine, envoyé spécial

Abonnez-vous
à partir de 1 €
Réagir Classer Imprimer Envoyer

Partager google + linkedin

La commune de Châtillon-en-Vendelais (Ille-et-Vilaine) a décidé de reporter à la rentrée 2014 la mise en place de la semaine des quatre jours et demi.

Ne parlez pas de la réforme des rythmes scolaires à Alain Fouglé, maire de Feins, village de 920 habitants situé à 30 km au nord de Rennes. L’élu a pris sa calculette pour estimer son coût, et il est arrivé à 20 000 euros, soit 3,3 % du budget communal. “C’est énorme”, souffle-t-il. Son évaluation prend en compte deux dépenses. Primo, l’ouverture de la cantine le mercredi – après la nouvelle matinée de classe – afin que certains enfants puissent aller ensuite au centre de loisirs. Secundo, l’embauche d’intervenants pour les activités périscolaires de la semaine, de 15 h 45 à 16 h 30, en lieu et place des 45 minutes quotidiennes de classe supprimées par la loi.

Cela, bien sûr, à condition de trouver des encadrants disponibles – et, qui mieux est, titulaires du BAFA, le brevet d’aptitude à l’animation. “Tout le problème est bien là, soupire M. Fouglé. Ici, on est loin de Rennes et de ses 60 000 étudiants. Les grandes villes n’auront aucun mal à recruter. Mais nous ? Il faudrait qu’un étudiant prenne le train, qu’on aille le chercher, puis le ramener après son intervention de trois quarts d’heure… Tout ça pour gagner 20 euros ? Il préférera aller bosser chez McDo !”

MISE EN PLACE À LA RENTRÉE 2013

La faiblesse du tissu associatif local ne permettra pas plus à M. Fouglé de solliciter des bénévoles : “On ne va quand même pas demander au club des anciens de faire des paniers en osier avec les enfants. Ce qu’il nous faut, c’est du théâtre, de la musique, du sport… Nous n’avons rien de tout cela.”

C’est à l’unanimité que le conseil municipal de Feins a décidé de ne pas mettre en place la semaine de quatre jours et demi à la rentrée 2013, mais un an plus tard, comme le permet la loi. Dans cette partie rurale de l’Ille-et-Vilaine, beaucoup de villages partagent les mêmes tourments face à cette réforme “d’énarques parisiens n’ayant aucune connaissance des réalités locales”, comme le dit Louis Pautrel, conseiller général. L’obligation qui leur est faite d'”occuper” le temps libre créé par l’allègement des heures de classe est vue autant comme une charge supplémentaire que comme un casse-tête organisationnel.

Combien de parents iront chercher leurs enfants dès 15 h 30 ou 15 h 45 ? Dans quels locaux organiser ces activités périscolaires, par ailleurs non obligatoires ? La garderie – solution de facilité – ne risque-t-elle pas de se généraliser ? Qui paiera la formation des Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) que l’on reconvertira en animatrices ? Mille questions se posent, avec sans doute plus d’insistance à la campagne qu’en ville, où mutualiser les coûts paraît “plus simple”.

“PRÉCARISATION”

Dans ces villages, le débat fait la plupart du temps abstraction des clivages idéologiques. On peut être “pour” la réforme sur le fond et critiquer ses effets indésirables. Voyez André Philipot, le maire de Laignelet (1 050 habitants). S’il hésite encore entre 2013 et 2014, l’élu redoute que l’ouverture de l’école le mercredi matin ne vienne menacer le mini-centre de loisirs créé il y a trois ans : “Il ne fonctionnera plus que le mercredi après-midi désormais, et encore… Tout dépendra de la décision des parents d’y mettre ou pas leurs enfants.”

Quid par ailleurs de l’employée municipale affectée à la structure ? En guise de “compensation”, celle-ci se verra certes proposer des heures supplémentaires en semaine. Mais à quel prix ?, s’interroge M. Philipot : “La réforme va créer de la précarisation chez des salariés qui vont devoir se déplacer pour pas grand-chose.” Le phénomène n’est pas neuf. “Trouver des gens pour surveiller le restaurant scolaire pendant une heure trente est déjà très compliqué dans des villages comme les nôtres. Imaginez ce qu’il en sera demain : qui va vouloir venir travailler moins d’une heure ici, en plein après-midi ?”, lance Jean-Yves Taligot, le maire de Châtillon-en-Vendelais, une commune de 1 700 âmes ayant elle aussi décidé d’adopter la réforme en 2014.

“ON VA DEVOIR ROGNER ICI ET LÀ”

Ici comme partout, le fait de demander aux communes de mettre la main au portefeuille passe d’autant plus mal que l’Etat a prévu de réduire ses dotations aux collectivités à l’horizon 2014-2015. Que faire ? Augmenter les impôts locaux est une solution, mais pas la plus populaire qui soit à l’approche des municipales de mars 2014. Pas le choix : “On va devoir rogner ici et là sur la voirie et les travaux. Au lieu d’utiliser de l’enrobé pour refaire la chaussée, on prendra du tri-couche”, tranche M. Taligot, pour qui les 50 euros par enfant promis par l’Etat ne suffiront pas.

Certains villages, cela étant, vont adopter la réforme dès septembre. Ainsi Ercé-près-Liffré (1 800 habitants), dont l'”atout” principal est de posséder son propre service “enfance et jeunesse”, fort de huit employés. “Cela facilite les choses”, reconnaît la maire (PS), Annie Pivette, tout en admettant que l’opération relèvera sans doute du “bricolage” la première année. La commune va devoir compter sur le bon vouloir d’autres intervenants : les enseignants de l’école pour l’aide aux devoirs, les profs de l’école de musique de la communauté de communes, les bénévoles d’associations pour des ateliers d’éveil.

Tout cela créera aussi un trou dans le budget communal. Mais de manière limitée, espère la maire. Eligible à la dotation de solidarité urbaine, Ercé-près-Liffré touchera en effet 40 euros supplémentaires par enfant. “Avec 90 euros en tout, on devrait pouvoir faire”, conclut Mme Pivette, sans beaucoup de certitude non plus. L’Association des maires ruraux de France a estimé à 150 euros par enfant le coût réel de la réforme pour les communes.

Commentaires fermés.