- La médiatrice de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur a rendu ce jeudi son rapport annuel.
- Selon elle, la dématérialisation des démarches administratives est génératrice d’inégalités dans l’accès aux droits d’une partie des citoyens.
- Elle pointe aussi le risque de déshumanisation des rapports entre les élèves, leurs parents et l’administration scolaire.
Parcoursup, Affelnet, Pronote, Sconet… Les plateformes numériques sont omniprésentes dans la sphère scolaire. Et ce n’est pas fini puisque d’ici à 2022, le gouvernement prévoit le passage de l’intégralité des services publics sur Internet. Un progrès puisque ces plateformes numériques permettent de simplifier certaines démarches (inscriptions aux examens, procédures d’affectation dans les établissements scolaires ou de l’enseignement supérieur, demandes de bourses…) et de dispenser des informations aux familles (notes des élèves, communication parents-profs…). Mais elles sont aussi des facteurs d’exclusion, comme l’a souligné ce jeudi la médiatrice de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur, Catherine Becchetti-Bizot, qui a dévoilé son rapport annuel intitulé « Vers une administration inclusive ». « Une numérisation trop rapide peut aboutir à l’effet inverse du but escompté : la mise à l’écart de certains publics », a-t-elle mis en garde.
« Depuis trois ans nous recevons beaucoup de réclamations qui posent la question des inégalités face à l’administration numérique », explique-t-elle. Les élèves et leurs parents ne sont, en effet, pas tous logés à la même enseigne face à ces outils numériques. Des problèmes d’accès matériel existent bien sûr, et sont dus à l’absence d’équipement informatique dans certaines familles, à des problèmes d’accès à Internet dans certaines zones rurales, ou encore à des pertes des codes de connexion… « Mais certains usagers sont aussi paralysés par les démarches en ligne », constate la médiatrice. Un avis partagé par Sébastien, professeur de Français dans un lycée difficile de la région parisienne : « Beaucoup de parents, qui ne sont pas familiers avec l’outil numérique ou qui ne parlent pas bien français, ne vont pas sur Pronote, par exemple. Du coup, certains n’apprennent que tardivement que leur enfant est en difficulté scolaire », constate-t-il. Les logiciels de gestion de vie scolaire (Pronote, Sconet, La-vie-scolaire, Educ’Horus…) permettent aux parents d’avoir accès à l’emploi du temps de leurs enfants, leurs devoirs, leurs notes, leurs retards, leurs absences, leurs sanctions, et le fait de ne pas les consulter est forcément dommageable pour eux et leur progéniture.
Le fossé numérique entre certaines familles et l’Education nationale
Le manque d’agilité numérique a aussi d’autres conséquences négatives pour les familles : « Certaines d’entre elles sont confrontées au caractère ambigu du vocabulaire administratif et se trouvent bloquées dans leurs démarches. Elles prennent du retard par rapport aux délais de réponse, ce qui peut empêcher une inscription », observe Catherine Becchetti-Bizot. En janvier dernier, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, avait aussi alerté du risque d’exclusion et d’inégalité engendré par les démarches en ligne. Face à ce constat, la médiatrice estime qu’il faut créer des alternatives aux démarches en ligne. « La dématérialisation a été conçue de manière exclusive, mais il doit être possible de faire également ses démarches par le papier, le téléphone. Nous recommandons de créer des points de contacts, où les publics les plus en difficultés pourraient être accompagnés, par exemple lors de permanences organisées dans les écoles », indique la médiatrice. Autre solution : développer les systèmes de conavigation sur le Web, qui permettraient d’accompagner un usager en temps réel sur une plateforme, afin de le guider dans ses démarches. C’est ce qu’a fait le Cned avec des téléconseillers qui naviguent avec l’apprenant sur la plateforme et l’aident en cas de difficultés rencontrées.
Idem concernant les logiciels de gestion de vie scolaire : afin de ne pas tenir les parents qui ne les utilisent pas à l’écart, la médiatrice recommande l’envoi régulier des relevés de notes des élèves et de leurs bulletins en version papier, quand ce n’est pas déjà fait. Des idées qui vont dans le même sens que celles du Défenseur des droits, qui avait préconisé dans son rapport de janvier « qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée », en plaisant pour le développement des maisons de services au public, de « points numériques » dans les préfectures…
Des algorithmes qui divisent
Mais ce n’est pas le seul point qui fâche concernant ces plateformes numériques. L’utilisation d’algorithmes sur Affelnet et Parcoursup, par exemple, pose problème. Ils sont parfois accusés d’être à l’origine de décisions peu humaines par les parents d’élèves. « Ces calculs automatisés présentent une forme de complexité et d’opacité aux yeux des usagers. Car les paramètres restent inaccessibles Ces modalités de décision pour affecter un élève en lycée ou dans l’enseignement supérieur sont mal comprises et suscitent de la défiance. D’autant que les algorithmes ne produisent pas des résultats totalement objectifs et induisent certains biais », estime Catherine Becchetti-Bizot. Exemple avec l’algorithme d’affectation Affelnet, qui, en 2017, avait conduit le lycée Turgot (Paris) à accueillir 83 % d’élèves boursiers en classe de seconde. « Or, ce n’était pas une volonté politique », commente la médiatrice. Toujours sur Affelnet, le traitement des dossiers d’enfants en garde alternée pose souvent problème, car un coup c’est la résidence du père qui est prise en compte pour l’affectation, un coup celle de la mère. Et cette année, sur Parcoursup, les affectations en Ifsi (Instituts de formation en soins infirmiers) font déjà l’objet de contestations.
Ce qui pousse la médiatrice à émettre quelques recommandations. « Il vaut mieux les tester avant qu’ils ne soient en fonction. Par ailleurs, il faut des commissions avec des comités d’usagers pour auditer les algorithmes, afin de les améliorer en cours de route si des écueils apparaissent » Enfin, selon la médiatrice, il faut mettre fin aux « superpouvoirs » des algorithmes et « muscler la chaîne de décision pour qu’il puisse y avoir une intervention humaine quand cela s’impose », insiste-t-elle.